Incendie du mémorial en hommage à l’abolition de l’esclavage à Bagneux
Des manifestants ont incendié dans la nuit du 29 au 30 juin le mémorial aux pieds duquel sont organisées chaque année les commémorations municipales de l’abolition de l’esclavage. L’auteur de cette sculpture ne comprend pas «la symbolique» de cette mise à sac.
Un monument détruit
La semaine dernière, le monument trônait sur un rond-point de Bagneux, dans la banlieue sud de Paris. Aujourd’hui, l’installation en partie détruite est à peine reconnaissable. Solitude, le monument de la municipalité dédié à la mulâtresse éponyme et aux esclaves entrés en résistance à l’époque coloniale, a été incendié dans la nuit du 29 au 30 juin. Le mémorial, une création de l’artiste Nicolas Alquin, a été livré aux flammes et partiellement détruit au cours des émeutes provoquées par la mort du jeune Nahel, tué à Nanterre par policier.
La tristesse de l’artiste
Joint mardi par téléphone, le sculpteur Nicolas Alquin s’est ému de la destruction de son œuvre, une commande de la commune inaugurée en 2005. «C’est très triste, c’est humainement très triste», s’est-il affligé, en déplorant une attaque aveugle contre les monuments publics de la République. «Je ne vois pas pourquoi est-ce que l’on s’attaquerait symboliquement à un tel mémorial», a ajouté l’artiste, dont l’atelier est situé à Bagneux.
L’intéressé n’exprime cependant aucune rancœur vis-à-vis des manifestants. «Ils ne se sont probablement pas rendu compte de ce à quoi ils s’attaquaient», veut croire Nicolas Alquin. «Je ne le prends pas personnellement. Une sculpture est debout, elle marque l’espace public. Mécaniquement, elle sert aussi d’exutoire naturel, comme un rocher dans l’eau», observe-t-il. Avant d’ajouter : «La violence s’essouffle, alors que la culture dure.»
Une possible rénovation en suspens
Marqué par la destruction de la sculpture, Nicolas Alquin a également précisé avoir beaucoup de peine «vis-à-vis des enfants» de la commune. «Chaque année, nous nous réunissions avec les élus et les écoles pour lire des poèmes aux pieds du mémorial et assurer la transmission de la mémoire des personnes qui se sont soulevées contre l’esclavage». D’après l’artiste, la Mairie de Bagneux a déposé plainte suite à la dégradation de l’œuvre. Le 30 juin, Marie Hélène Amiable, maire PCF de la commune, a déploré des «actes inacceptables» suite aux «dégradations sur l’espace public», sans mentionner explicitement le sort de Solitude.
La statue, composée de trois parties, a été réalisée par Nicolas Alquin à partir d’éléments en fonte, ainsi qu’avec du bois d’Iroko, une essence tropicale africaine. «Je m’étais rendu en Côte d’Ivoire pour récupérer le bois de la sculpture, en obtenant l’autorisation du sorcier local pour l’abattage rituel de l’arbre», détaille l’artiste. L’installation pourra-t-elle être un jour rénovée ? «Cela pourrait se faire, mais je ne sais pas si la mairie aura le budget nécessaire, s’il y a une envie pour que le monument revive ou pour le faire exister d’une autre manière», précise-t-il encore.
L’héritage de Solitude
La mulâtresse Solitude (v. 1770-1802), aussi connue par son prénom Rosalie, est une des figures de la révolte guadeloupéenne de Louis Delgrès. Solitude prend les armes contre les forces françaises chargées de rétablir l’esclavage sur l’île. Capturée, elle meurt pendue le 29 novembre 1802, au lendemain de son accouchement. La sculpture de Nicolas Alquin à Bagneux est le premier monument de la métropole consacrée la combattante contre l’esclavage. Installée avenue Henri-Barbusse, lors de son inauguration, l’œuvre a été déplacée sur le rond-point Schweitzer en 2015, à l’occasion de travaux de voirie. Plus récemment, la mairie de Paris Anne Hidalgo a inauguré une statue dédiée à Solitude, en mai 2022. Un troisième monument, enfin, se trouve en Guadeloupe.