Rentrée littéraire : « Sarah, Susanne et l’écrivain » d’Eric Reinhardt, la longue descente aux enfers d’une femme délaissée par son mari, en lice pour le Goncourt
Dans son dernier roman, qui figure dans la première sélection du prix Goncourt 2023, Eric Reinhardt décrypte avec précision l’effondrement d’une femme confrontée à l’indifférence et l’égoïsme de son mari. Le poison lent de l’isolement et du déclassement. Un récit puissant, fécond et profondément féministe.
Sarah, Susanne et l’écrivain : une histoire de deux destins
Sarah, mère de famille et épouse en apparence comblée, confie son histoire à un écrivain qu’elle admire afin qu’il en fasse le récit. Lorsqu’elle réalise après 20 ans de mariage, que son mari est propriétaire de 75% de la demeure familiale, Sarah tente de rétablir l’égalité économique au sein de leur couple. Pour faire réagir son époux, elle décide de quitter leur foyer quelques mois. Une décision aux conséquences inattendues et bouleversantes.
La rencontre de Sarah et Susanne, deux idéalistes
Susanne, un personnage fictif créé par l’écrivain du titre, se retrouve dans une situation similaire à celle de Sarah. Les deux femmes sont confrontées au silence assourdissant et à la lâcheté de leur mari. Animées par leur idéalisme, elles se battent avec obstination. Le destin de ces deux femmes est à la fois une illustration de la théorie du pot de yaourt décrite par l’essayiste féministe Titiou Lecoq et une démonstration du pouvoir de l’art et du sacré dans leur vie.
Le pouvoir de l’art et du sacré dans « Sarah, Susanne et l’écrivain »
Le roman d’Eric Reinhardt ne se limite pas à une simple histoire contemporaine. Au travers du jeu de miroirs entre Sarah et Susanne, l’écrivain explore le pouvoir de l’art et du sacré. Des références à un tableau religieux du XVIIe siècle, une église de dentelle et une tête-coquillage inspirée de Francis Ponge donnent au récit une dimension artistique et spirituelle. Eric Reinhardt, avec sa plume stylistiquement singulière, parvient à composer des images saisissantes dans l’esprit du lecteur.
Couverture du livre « Sarah, Susanne et l’écrivain » d’Eric Reinhardt, août 2023 (éditions Gallimard)
Extrait :
« Elle venait tous les soirs désormais. Elle s’asseyait sur le banc de pierre et surveillait les fenêtres illuminées, elle s’était acheté une bouteille thermos qu’elle remplissait d’un thé corsé, pour se tenir éveillée. Il y avait parfois des invités dans l’appartement, des personnes qu’elle n’avait jamais vues, et sa fille et son mari circulaient parmi ces présences une cigarette et un verre à la main. Ils riaient. Sa fille se passait la main dans les cheveux. Elle était devenue la maîtresse des lieux, leur gardienne. Un soir, elle la vit embrasser un garçon sur le balcon. En revanche, il était plus rare que Luigi se mêle aux convives, parce que réfugié dans sa chambre il travaillait d’arrache-pied dérivées et intégrales pour atteindre aux exigences oxfordiennes. Elle l’apercevait à son bureau face à la fenêtre, il regardait dehors de temps en temps mais rarement vers le bas, mais jamais vers sa mère statufiée sur sa glaciale assise de pierre. »
p 216